1985, Virgin
La musique, dit-on, adoucit les mœurs. Il peut cependant arriver qu'elle fâche. Prenons le cas Marc Seberg, groupe français des années 1980. Son premier album, 83, prolongeait les débuts de la fugace new wave à la française, débuts auxquels plusieurs de ses membres avaient d'ailleurs contribué avec feu Marquis de Sade. Corset de rigueur pour la musique, Charles Baudelaire et Lou Reed sur la table de chevet pour les textes, fantôme désarticulé de Ian Curtis pour la scène : autant de codes ostentatoires qui pouvaient friser le ridicule, mais fonctionnaient quand même à une époque qui n'avait pas peur du qu'en dira-t-on. Le cercle d'amateurs des chanteurs-poètes maudits (et disparus) était-il trop étroit ? Le groupe a-t-il voulu évoluer musicalement ? Le syndrome du deuxième album a-t-il encore frappé ? Toujours est-il que ce Chant des terres, débarqué en 1985, me met aujourd'hui encore les nerfs en boule tant il trahit la noirceur du rock pour étreindre les lumières de la pop FM la plus caricaturale de ces années-là (1). Seuls trois titres – Aurore, Recueillement et Les ailes de verre – traînent un peu les pieds, hésitant à tourner définitivement la page du passé. Ce changement musical se fait-il consciencieusement, au moins ? Même pas. Les oreilles saignent d'un motif risible de batterie dans le refrain de L'éclaircie, d'une audace vocale ratée de « Oh oh » sonnant plus faux que justes dans Le chant des terres, d'un riff pop pitoyable dans Si j'avais su te dire, du pompage éhonté de la batterie du Biko de Peter Gabriel dans Les ailes de verre. Certes, toutes les orientations décidées par les artistes sont respectables et il ne s'agit certainement pas de venir troubler l'âme en paix du chanteur Philippe Pascal. Mais quelle déception à l'époque d'avoir dû abandonner l'un des rares groupes français embarqués dans ma petite arche musicale !
4 mars 2024
(1) Au cas où, c'est un petit clin d'œil aux deux albums qui suivront, Lumières & trahisons et Au bout des nerfs. Quant au « cercle d'amateurs des chanteurs-poètes maudits (et disparus) », c'est évidemment une fine allusion au film de Peter Weir, Le cercle des poètes disparus (1989).
Playback télévisé, 1985.
Vidéo éditée par Marquis Seberg.
1985, Virgin.