1966, Verve Records
Freak Out! fait partie de ces albums qui ont toute leur place dans un cabinet de curiosités musicales. Pour appréhender ce vieil objet étrange, il faut se replonger dans une époque où la jeunesse occidentale née pendant la Deuxième Guerre mondiale commençait à sérieusement ruer dans les brancards d'une société encore très corsetée. C'était le mouvement hippie aux États-Unis – « faites l'amour, pas la guerre » –, la fascination pour les régimes révolutionnaires d'obédience marxiste, l'émergence d'une « contre-culture » se pâmant devant tout ce qui allait du simple non-conformisme au grand n'importe quoi. Dans tout ce fatras, comme à chaque époque, il y avait les opportunistes qui savaient rebondir sur l'air du temps et les créateurs qui étaient déjà ailleurs. Parmi ces derniers, et pour rester aux États-Unis du milieu des années 1960, on peut par exemple citer Lou Reed et John Cale, pour l'instant unis dans le Velvet Underground, ou bien Frank Zappa, qui prenait les rênes des Mothers Of Invention pour en faire l'instrument de ses compositions, dont Freak Out! sera l'apéritif. Il est quasiment impossible de décrire par le verbe ce double album qui passe le plus clair de son temps à sauter du coq blues à l'âne rock, avant de se conclure par un truc interminable – et non fini d'ailleurs – que j'aurais personnellement tendance à rattacher au grand n'importe quoi cité plus haut. Éclectique, déjanté, libertaire, irrévérencieux envers tout et tous, ce premier jet a le mérite de montrer toute la palette des talents de son auteur-compositeur-guitariste-chef d'orchestre-directeur musical, à travers des morceaux tous différents mais procédant d'une même complexité, d'une même richesse orchestrale et d'une même rigueur d'écriture – il faut imaginer la tête des musiciens de studio autodidactes se voyant remettre par le boss la partition qu'ils étaient sommés d'exécuter ! Si l'on excepte les bizarreries quelque peu potaches d'It Can't Happen Here et de The Return Of The Son Of Monster Magnet, la plupart des titres sont non seulement parfaitement écoutables, mais recèlent de surcroît de nombreuses trouvailles, au-delà de l'usage immodéré d'une sorte de mirliton : Hungry Freaks, Daddy, Motherly Love, Trouble Every Day, la mélopée ternaire de Help, I'm A Rock dont le final annonce le pétage de plombs qui va suivre... Cela a mis le temps – commercialement, l'album a été un échec et s'est fait lapider par la critique –, mais Freak Out! a fini par être reconnu pour ce qu'il était : une création rock d'avant-garde ayant influencé nombre de musiciens.
14 janvier 2024
Version originale.
Vidéo éditée par The Mothers Of Invention (compte automatique de YouTube).
1966, Verve Records.