1969, EG Records
Et le rock progressif fut. Enfin, il paraît. Personnellement, je trouve plus exact d'affirmer que ce premier album de King Crimson a surtout marqué la naissance d'un groupe dont l'audace hors norme ne s'est jamais émoussée en près de quarante années d'existence. Qu'il s'agisse du bizarroïde 21st Century Schizoid Man, improvisation à tendance free jazz introduite et conclue par du rock saturé et trafiqué, du calme et mélodieux I Talk To The Wind et de son frère Moonchild avec sa longue traîne d'improvisation expérimentale, ou des superbes mélodies sur tapis de mellotron que sont Epitaph et In the Court of the Crimson King, on débarque ici en pleine refondation post-soixante-huitarde de la musique, où le rock et le jazz se mêlent aux violons, aux flûtes et aux saxophones. Avec, déjà, une batterie utilisée non pas à la tchac-poum, mais comme un véritable instrument d'accompagnement doué d'une sensibilité percussive particulièrement aiguë. Sans oublier, enfin, la guitare discrète mais incroyablement inventive de Robert Fripp, qui signe chaque morceau d'une nouvelle manière de plaquer les accords, de déployer les arpèges ou de faire s'envoler les harmoniques. Ce qui est plaisant chez King Crimson, au fond, c'est cette « force tranquille », voire ce « coup d'État permanent » que confère l'utilisation à bon escient d'une excellente technique instrumentale. Dans un monde où l'on a souvent la vanité de croire que des gros biscoteaux peuvent suffire (les exemples abondent dans le rock progressif, mais on en trouve tout autant dans le jazz-rock ou le hard rock), King Crimson doit sa force, son culot et sa longévité à un petit frisé binoclard pour qui il est évident qu'un intellectuel assis va toujours plus loin qu'une brute qui marche.
11 juin 2007
Version originale.
Vidéo éditée par Nikolay Komarov.
King Crimson
Groupe rock progressif et expérimental britannique (Londres, Angleterre) fondé en 1968.
1969, EG Records.