1970, EG Records
Le problème, avec les inventeurs, c'est la valse des étiquettes. Non seulement ils font des choses auxquelles personne n'avait songé, mais ils bouleversent du même coup les repères bien commodes dont le commun des mortels jalonne le monde pour pouvoir le comprendre et s'y sentir chez lui. King Crimson en général et son guitariste-compositeur Robert Fripp en particulier font partie de ces trublions. Il faut dire qu'en plus des étiquettes, le groupe pratique allègrement la valse des musiciens – à moins qu'il ne la subisse. Les frères Giles, Ian McDonald et Greg Lake partis, il ne reste des fondateurs que le parolier Peter Sinfield et, dans le rôle du capitaine qui n'abandonne pas son navire, Robert Fripp. Ce sont donc les musiciens entrant ou gravitant dans le cercle au gré des albums et des concerts qui contribuent plus que fortement à forger le son du groupe : Mel Collins, Gordon Haskell et Keith Tippet tout particulièrement, qui étaient déjà là pour In the Wake of Poseidon. Je ne sais pas si tout ce beau monde est en avance sur son temps, mais il est clair qu'une fois encore, King Crimson nous gratifie avec Lizard d'un ovni dans le monde du rock – si tant est que cela en soit. L'inspiration classique introduite dans le précédent album se renforce, mais c'est l'influence du jazz – et même du free jazz – qui domine. Le miracle, c'est que Robert Fripp – qui au passage excelle aussi dans les accompagnements de guitare acoustique, griffures et morsures dans Cirkus, caresses dans Lady of the Dancing Water – parvient à combiner la rigueur du classique et l'apparente liberté d'improvisation du free jazz soit pour bâtir des cathédrales gothiques (Lizard), soit pour décorer de « simples » chansons (Indoor Games, Happy Family). Au point que c'est peut-être le plus « rock » des morceaux, Cirkus, sombre et créant un étrange malaise, qui constitue l'intrus dans cet album ambitieux, novateur, riche et néanmoins déroutant.
2 janvier 2010
Wolverhampton (Angleterre, Royaume-Uni) le 10 septembre 1971.
Vidéo éditée par TheFraKctured.
1970, EG Records.