1992, Real World / Virgin
S'il est à l'époque au faîte de sa gloire après le succès planétaire de l'album So, Peter Gabriel n'a pas franchement le cœur à rire. Sa crise de la quarantaine, il la subit depuis un divorce qui l'a laissé complètement sonné, à tenter de se consoler ici avec une actrice, là avec une chanteuse, et surtout à passer un temps incroyable chez le psy pour endiguer une sévère dépression. Cette période pas vraiment joyeuse pourrait-elle expliquer les faiblesses de l'album Us ? Peut-être, mais bien d'autres musiciens durement abîmés par la vie ont au contraire fait de l'adversité leur meilleure muse. Toujours est-il que cet album laisse largement sur leur faim les admirateurs de longue date de Peter Gabriel : à force de les habituer à une barre toujours plus haute, trébucher soudainement de l'excellence au tout juste correct ne peut qu'engendrer une déception traumatique. Que Steam et Kiss That Frog poursuivent le chemin tracé par Sledgehammer, pourquoi pas. Mais quand cela n'aboutit qu'à deux pâles copies de l'original, il y a de quoi se poser des questions. Incompréhension aussi entre l'émotion personnelle censée porter Come Talk To Me et la froideur distante de ses arrangements, pourtant copieusement enrichis de percussions endiablées, de chœurs africains et d'instruments moyen-orientaux mais laminés par trop de claviers inutiles et un mixage aussi expressif qu'un robot sur une chaîne de montage. Au fond, le problème de cet album tient peut-être au perfectionnisme pointilleux de son auteur : à trop vouloir bien faire le détail (le son), on en vient à laisser de côté l'essentiel (la composition et les arrangements). Il suffit de comparer Come Talk To Me à Biko pour s'en convaincre : si ces deux titres suivent grosso modo la même inspiration musicale, la force du second était dans son dépouillement alors que la faiblesse du premier est dans le trop-plein. Certes, comme à l'accoutumé, il y a de jolies ballades (Blood Of Eden, Washing Of The Water), un peu de « musiques du monde » (Come Talk To Me, Fourteen Black Paintings), des passages bien dansants (Steam, Kiss That Frog), des griffures de guitare et des « glouglous » de synthé (Only Us). En revanche, la trouvaille géniale ou la nouvelle ambiance qui distinguait chaque album des précédents est ici attendue en vain : Digging In The Dirt a beau être un très bon titre, il n'est qu'héritier, pas procréateur.
4 mai 2025
Festival Woodstock 1994 à Saugerties (New York, États-Unis), le 14 août 2014.
Vidéo éditée par Alt Vault.
1992, Real World / Virgin.